Il y a un peu plus de deux ans, dans certaines oliveraies des Pouilles, ont été signalés des cas de desséchement d’oliviers dans une zone au sud de Gallipoli dans le Département de Lecce (Italie du Sud).
Un dramatique constat
Les plantes touchées par le phénomène présentaient la symptomatologie suivante :
-abondants dessèchements du feuillage, de branches isolées ou de la plante toute entière
-brunissage interne du bois des branches plus jeunes et du tronc
-feuilles partiellement desséchées dans leur partie supérieure et/ou sur les bords
Le Service de phytopathologie des Pouilles en collaboration avec l’Université de Bari et le CNR (l’équivalent du CNRS français) ayant effectué sur les plantes touchées toutes les analyses de cette maladie ont identifiés un ensemble de potentiels agents responsables de cette symptomatologie qu’ils ont appelé « phénomène complexe de desséchement rapide de l’olivier » (voir fiche technique).
Les agents responsables du phénomène étant : la bactérie phytopathogénique Xylella Fastidiosa, le lépidoptère Zeuzera pyrina et certains mycètes du bois qui se développent dans les vaisseaux lymphatiques de la plante et qu’on sait être les responsables de desséchement des plantes et des vignobles.
Il est à noter que la Xylella Fastidiosa avait été inclus depuis des années par l’Union Européenne dans une liste dite de « quarantaine » (Directive du Conseil de l’UE 2000/29/CE) car on l’avait déjà remarquée sur tout le territoire de l’Union
Le risque de la diffusion de la bactérie , au vu de son caractère dangereux pour bien des espèces végétales, a déclenché toute une série d’actions communautaires , nationales et régionales destinées à éradiquer la maladie dans ses foyers d’infection des Pouilles et éviter qu’elle atteigne le reste du territoire .
La nature de la bactérie
La Xylella Fastidiosa a des exigences nutritionnelles complexes et pour cela est difficile à cultiver « in vitro » (en laboratoire). Elle a été observée pour la première fois en 1882 en Californie sur des vignobles.
Cette bactérie est en effet connue comme un « agent » d’une grave maladie des vignobles, dite « Maladie de Pierce » et a été toujours étudiée comme telle.
Mais les vignobles ne sont pas les seuls « hôtes » de la Xylella Fastidiosa : pendant tout le siècle dernier elle a été observée sur plus de 150 différentes espèces de plantes spontanées ou cultivées.
Comme nous l’avons déjà indiqué la bactérie se multiplie dans le tissu de la plante et provoque l’obstruction des vaisseaux qui permettent le passage de la lymphe.
La maladie semble être strictement liée à la température ambiante : des valeurs entre 25° et 32° C sont les températures les plus idoines à la multiplication de la bactérie et donc à son développement épidémique.
Par contre des températures au-dessous de 12-17° C et/ou au-dessus de 34° peuvent empêcher la permanence de la bactérie dans les plantes « hôtes ».
La sensibilité de la Xylella Fastidiosa aux basses températures explique probablement, mais seulement en partie, sa distribution géographique qui apparait être limitée aux aires tropicales et sub-tropicales
La bactérie agit indifféremment vers le haut ou vers le bas, ce qui fait qu’on la retrouve même dans des racines. Elle se répand facilement sur des courtes distances avec le matériel de propagation (déchets du bois etc.) ou par des plantes entières et des greffes.
Mais la transmission la plus efficace est opérée par des insectes qui se nourrissent de la lymphe des plantes, en général des lépidoptères qui fonctionnent en tant que vecteurs à court et moyen rayon.
Heureusement ces insectes ne sont plus infectés après la mue.
Le seul insecte qu’on a observé dans les Pouilles pouvant « transporter » et transmettre la maladie est le Philaenus spumarious ( Lynné , 1758 ) dit vulgairement en italien « sputacchina ( crachat ) » qui vit aussi sur le terrain en bas des plantes ( détail très important pour la lutte contre la maladie , comme nous verrons par la suite ) et sur les jeunes pousses des arbres .
Par contre la diffusion sur des longues distances est l’œuvre de l’homme à travers :
- L’activité commerciale de matériaux infectés (bois, feuillages etc.)
- les moyens de transport et les machines utilisées
La Xylella Fastidiosa ne se reproduit pas dans les graines et semences. La période d’incubation de la maladie est normalement très longue mais cela dépend beaucoup de l’espèce de la plante « hôte » et à l’intérieur d’une même famille par sa variété (ou cultivar) entre quelque mois et une année et parfois même plus.
La grande virulence de ce micro-organisme a poussé les chercheurs et les techniciens des pays où elle est présente depuis longtemps, à mettre en place différents systèmes de prévention, à savoir : l’emploi de variétés résistantes, l’utilisation de pratiques culturelles et d’hygiène appropriés, utilisation de moyen de lutte chimique et/ou biologique contre les insectes vecteurs.
La situation dans le Département de Lecce (Salento)
Sans aucun doute dans une situation d’urgence épidémique on doit intervenir avec décision pour empêcher une ultérieure diffusion et contagion de la maladie
Les chercheurs des Pouilles qui dans un premier temps ont parlé d’un « phénomène complexe de desséchement de l’olivier », pouvant être causé en principe par l’action de plusieurs agents pathogènes à la fois (le lépidoptère Zeuzera pyrina, les mycètes et la Xylella Fastidiosa) semblent par la suite avoir attribué l’origine de la maladie à une seule cause épidémique (la Xylella) en reléguant les autres agents possibles à des rôles purement complémentaires.
Mais à aujourd’hui nous ne disposons encore pas des données suffisantes pour déterminer la réelle valeur pathogénique de la Xylella et nous ne savons donc pas avec certitude qui ou quoi est effectivement responsable de la maladie.
Des décisions incertaines et très peu adaptées pour la défense environnementale du territoire ont pour le moment ouvert le chemin à des polémiques ou à un contentieux et ont été la cause d’actions inconsidérées (éradications sans critères) ou, encore pire, d’inaction aboutissant à la fin à confier la responsabilité décisionnelle à une instance qui n’a aucune compétence en la matière : à savoir la magistrature.
Les experts nommés par la magistrature de Lecce croient que la bactérie était localisée depuis longtemps dans les Pouilles mais c’est seulement par le contact avec d’autres variétés venues d’autres continents qu’elle est devenue dangereuse et épidémique suite à des mutations génétiques intervenues.
Mais dans leur expertise il n’y aucune indication d’une diagnose ni d’une thérapie possible.
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Quelle leçon pouvons-nous tirer de tout ceci ?
S’il n’est pas possible de trouver des solutions immédiates au problème, on peut par contre tirer des leçons de nature « générale ».
La solution pourrait être dans une vision globale (complexe) des interventions possibles qui puisse envisager des mesures moins drastiques, mais qui prennent plus tôt en compte la nécessité de rétablir un équilibre des écosystèmes.
Il est aussi à espérer que l’énième alarme (et le risque de destruction en masse d’espèces qui s’ensuit) puisse amener à une révision des systèmes de formation des experts et à la création de nouvelles typologies d’ingénieurs agronomes, les « agro-écologistes ».
L’objectif final est celui de promouvoir un processus d’évolution de l’agriculture par l’application ponctuelle de systèmes qui prennent en compte d’une part l’interaction entre différentes espèces vivantes et d’autre part entre celles-ci et des autres entités non vivantes (le sol, l’eau et le climat).
Voilà quel est l’enjeu majeur dans le futur.
Vincenzo Rotondo
Biologiste et phytopathologue
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Chronologie et état des Lieux de l’épidémie de « Xylella » dans les Pouilles
Le 21 Octobre 2013 l’Italie informe tous les Etats membres de l’Union Européenne et la Commission Européenne de l’existence de la bactérie « Xylella Fastidiosa « (sous-espèce « pauca » de type CoDiRo) dans le territoire de la Province de Lecce (Région des Pouilles) et précisément dans la Commune de Gallipoli.
Les experts de l’Université de Bari font le rapprochement entre l’existence de cette bactérie et le phénomène appelé en italien « CoDiRo », ce qui veut dire « assèchement rapide et complet de l’olivier ». Les autorités de la Région des Pouilles reconnaissent formellement par un arrêté du 18 octobre 2013 la référence au lien de cause à effet entre la bactérie en question et l’assèchement « rapide » de l’olivier.
La Région déclare que ce lien a été « clairement » établi par les Services régionaux compétents.
En conséquence de cet arrêté il est procédé le 12 avril 2014 à une première éradication de 104 oliviers dans 5 zones infectés assez éloignées les unes des autres et concernant les communes de Trepuzzi, Cupertino, Surbo et Sternatia de la Province (Département) de Lecce.
Par le moyen de plusieurs “ Décisions exécutives “ l’Europe demande au Gouvernement italien de combattre sans tarder la bactérie. En conséquence, un décret du Ministère de l’Agriculture en date du 26 septembre 2014 pose les bases d’une étude d’un plan d’urgence qui est confié au Commandant Régional (des Pouilles) du Corps des Eaux et Forêts : Général Giuseppe Silletti, nommé Commissaire Extraordinaire.
Le plan envisage la coupe des oliviers malades mais aussi celle des oliviers sains dans un périmètre de 100 mètres. Ce qui signifie compte tenu de la densité des oliveraies la coupe de milliers d’oliviers. En avril 2015 le plan entre officiellement en exécution et on procède à l’éradication des sept premiers arbres malades dans la Commune de Oria, mais les protestations de la population empêchent la coupe d’autres arbres.
On passe donc à l’éradication de quelques arbres dans une autre Commune (Veglie), mais là aussi des fortes oppositions des agriculteurs arrêtent les coupes. De plus les organisations agricoles de la région saisissent le Tribunal Administratif Régional (TAR) qui accepte leurs arguments et décide que le « plan » Silletti soit suspendu.
Le 18 mai 2015 la Commission Européenne émet une deuxième « Décision Exécutive » qui suspend elle aussi le plan Silletti et pose les bases pour un autre plan afin de “ bloquer et éliminer la bactérie “.
Entretemps, il apparaît que, contrairement à ce que les Services Régionaux avaient annoncé , les Laboratoires de Phytopathologie de Bari ( chef-lieu de la Région ) ne sont pas encore arrivés à déterminer l’exacte pathologie de la bactérie Xylella et à établir un lien « incontestable » de cause à effet entre celle-ci et l’assèchement des oliviers touchés dont on observe qu’il touche seulement les plus vieux, presque toujours centenaires.
Par conséquent le Procureur de la République de Lecce a formulé récemment un arrêt d’urgence visant à mettre sous séquestre tous les oliviers de la Région affectés par la maladie.
En même temps il a mis en accusations dix personnes : en premier lieu le Commissaire Extraordinaire pour le plan d’intervention, le Général Silletti.
Parmi ceux-ci l’ancien et l’actuel Directeur des Laboratoires Régionaux de Phytopathologie , le Directeur du Service régional de l’ Agriculture , les Directeurs des Services régionaux des Politiques Européennes et du Développement Agricole , le Directeur du Centre indépendant de Recherche de Loco Rotondo et professeur à l’Université de Bari de Pathologie Végétale , le Directeur du Centre régional des recherches ( CNR ) , un chercheur du même Centre , un autre chercheur du Centre Méditerranéen de Recherche Agronomiques ( IASM ) de Bari .
Les délits attribués aux accusés sont : diffusion de maladie des plantes, viol frauduleux des dispositions de loi en matière d’environnement ; faux et usage de faux par un fonctionnaire public, faux idéologique, destruction d’éléments du patrimoine environnemental (oliviers centenaires). Tous ces délits étant perpétrés depuis 2010 à aujourd’hui.
Le 28 Décembre dernier le Tribunal de Première Instance de Lecce a confirmé la décision du Procureur de la République. Toute coupe d’arbres est interdite.
A ce jour les Centres de Recherche et les Laboratoires de Phytopathologie continuent leurs études sur comment éradiquer la bactérie « Xylella Fastidiosa », établir un lien « incontestable » entre celle-ci et l’assèchement de certains oliviers et surtout de trouver des remèdes alternatifs à l’éradication des arbres encore sains.
Antonio Bruno – Ingénieur Agronome
Membre du CICC