Je viens de lire un court récit d’anticipation. L’auteur imagine le monde dans lequel le tout numérique nous entraîne. Robert Clavijo, Président du Comité Biterrois du MNLE
RIEN A CACHER
nouvelle de Patrice FAVARO
Un étudiant nommé R. Alkantara est recruté par une agence gouvernementale comme cobaye pour une expérience de lutte contre le terrorisme. Il s’agit de détecter les futurs terroristes avant qu’ils commettent des crimes. L’expérience utilise les innombrables caméras installées en cachette dans les rues, dans les gares, dans les grands magasins, à l’entrée des immeubles, etc. Ces caméras, en se perfectionnant, deviennent capables d’identifier chaque personne (« reconnaissance faciale ») et de lancer l’alerte si un visage exprime quelque chose de suspect : haine, angoisse, stress, etc.
Moyennant une rémunération alléchante et sûr de participer à une bonne action (empêcher les crimes terroristes) l’étudiant Alkantara accepte de devenir cobaye dans cette expérience.
Désormais toutes les caméras qu’il rencontre enregistrent ses déplacements, ses gestes et toutes les expressions de son visage.
Le père de l’étudiant travaille dans l’industrie chimique. Il manipule, respire et ingère des produits toxiques. C’est pourquoi il tombe gravement malade. Quand l’étudiant apprend que son père n’a plus que quelques semaines à vivre, il éprouve des sentiments bien naturels et bien légitimes de haine et de révolte contre l’industrie chimique et contre la longue chaîne de complices qui permet aux industriels de poursuivre leur activité meurtrière : actionnaires qui exigent des profits à 2 chiffres, banques qui financent les industries dangereuses, préfecture qui ferme les yeux sur les dangers de l’industrie, gouvernements complices des grands patrons, médias qui n’alertent pas les citoyens, etc. Haine et révolte se lisent plusieurs fois sur le visage d’Alkantara. Les caméras l’enregistrent.
L’étudiant est aussitôt convoqué par l’agence gouvernementale qui l’interroge. Elle découvre ainsi pourquoi Alkantara ressent de la haine et des velléités de révolte. A partir de ce jour l’étudiant banal est classé parmi les personnes dangereuses, capables de commettre des attentats.
Désormais les caméras de reconnaissance faciale lui interdisent l’accès non seulement des usines mais aussi des banques et de tous les lieux propices aux attentats : aéroports, gares, métro, supermarchés, immeubles, etc. Alkantara, bien que jeune homme sans histoire et innocent, constate qu’il est exclu de la société.
Ce récit semble de la médiocre science fiction et pourtant il ne contient rien d’irréaliste. L’auteur n’a inventé ni les caméras de surveillance, ni la reconnaissance faciale, ni la recherche de procédures pour détecter les terroristes. Innombrables sont aujourd’hui les moyens électroniques d’espionner les personnes jusque dans leur intimité : compteurs communicants (linky etc) , logiciels de type PEGASUS espionnant les tél portables et domotique hyperconnectée utilisant la 5 G. Cet espionnage alimente le commerce des données qui est en plein essor et la cybercriminalité qui se multiplie.
Un système de surveillance, de contrôle et de mise au pas de tous les individus est déjà à l’oeuvre en Chine, peut-être aux USA (où CIA et NSA espionnent impunément qui elles veulent) sûrement en Israël. Au nom de l’antiterrorisme et de la « sécurité » quel Etat, quel gouvernement résistera à la tentation de basculer lui aussi dans le cybertotalitarisme ? Voulons-nous vivre en France dans une société totalitaire de type chinois ?
Internet fut inventé aux USA par et pour l’armée des USA avant de devenir le métier de 5 trusts des USA : Google, Apple, facebook, Amazon et Microsoft. Le numérique, avec Hollywood, le rock and roll et le « rêve américain », fait désormais partie du « soft power » de l’impérialisme washingtonien. Nous sommes chaque année plus dépendants des GAFAM. Voulons-nous continuer dans ce sens sous prétexte de modernité ?
J’ai souvent entendu dire « Peu m’importe qu’on m’espionne : je n’ai rien à cacher ». Alkantara lui aussi n’avait rien à cacher…