Rapport moral
Congrès de Givors 5 et 6 novembre 2016
Le capitalisme n’est pas soluble dans les énergies renouvelables
Les réponses sont à construire au creux du quotidien
Dépasser l’impuissance et la colère avec de nouveaux pouvoirs
Notre dernière assemblée générale s’est tenue le 24 octobre 2015, en pleine préparation de la COP 21. Nous avons accueilli avec sympathie l’initiative d’ALTERNATIBA. C’est que nous sommes de celles et ceux qui pensent que la question climatique n’est qu’une dimension d’une crise globale, sociale et environnementale. L’humanité doit faire face à des défis énormes sur le climat, l’eau, la biodiversité, la santé publique, la démographie en même temps que les inégalités sociales explosent.
Il ne suffit pas de dénoncer la phase actuelle du capitalisme où une infime minorité détient richesses et pouvoirs. Il ne suffit pas de dire que la recherche avide du profit gouverne le monde. Il ne suffit pas de regretter que la pensée économique dominante oublie volontairement la limite et l’usure des ressources naturelles, qu’elle désigne le productivisme, la compétition généralisée, la loi de l’argent comme les seuls possibles, parfois parfois tempérés par la norme, voire la fiscalité.
Le travail et son prix, l’environnement en sont les premières victimes. D’où une croyance au miracle technologique salvateur. D’où la justification de l’approfondissement des inégalités sociales, de la déqualification du travail. On peut encore augmenter la liste de ce qui ne va pas.
Mais se pose alors la question : pourquoi a-t-on autant de mal à trouver la bonne stratégie, les bonnes solutions ? Pourquoi les forces politiques dominantes reçoivent-elles encore le mandat de soutenir ce système de plus en plus inhumain ?
Il y a sans doute un ensemble d’explications à donner. Mais ne sous-estimons pas le caractère inédit de l’époque que nous vivons. Jamais l’intelligence humaine n’a su créer autant d’outils pour modifier l’environnement. Ils sont détournés par le productivisme pour développer un consumérisme fournisseur de plaisirs pour ceux qui ont les moyens de s’y plonger, de frustrations pour les autres. Les liens sociaux ont été affaiblis, voire anéantis. L’individu est de plus en plus seul contre tous et donc naît le besoin de sécurité publique qu’une telle violence latente fait surgir.
Face à une telle pression, globale et féroce, les forces alternatives n’arrivent pas encore à rencontrer la conscience d’un grand nombre de citoyens, à faire partager l’idée qu’une autre société est possible. . ( D’où l’intérêt du projet des jardins de la solidarité alimentaire de nos amis du Rhône)
La COP 21 et la loi du 17 août 2015
Nous avons vécu la 21ème COP et allons vivre la 22ème. Ce long cheminement n’a pas apporté d’avancées dans la maîtrise du risque climatique. On peut toujours être optimiste en disant que la dernière est la bonne et que la situation pourrait être pire si elles ne s’étaient pas
tenues. Certes. L’opinion publique est beaucoup plus avertie. Il y a des progrès sur la motivation des États, sur la fiabilité des processus informatifs. Mais en fait, la question est-elle bien posée ? La priorité est donnée à la transition énergétique alors qu’à l’évidence il faut mettre en œuvre une transition écologique et sociale. La loi du 17 août 2015 qui définit les intentions de la France dans le cadre de la COP 21 en est une bonne illustration.
Sur les 7 titres de cette loi, 3 concernent l’énergie, un les procédures administratives. Le titre consacré à l’habitat traite notamment de la rénovation thermique. On parle beaucoup de construction neuve alors que l’effort doit porter sur la parc ancien. Le tiers-financement est autorisé, mais les moyens à mettre en œuvre sur le terrain ne sont pas abordés. Le retour d’expériences est apparemment très maigre. Les informations les plus sérieuses dont nous disposons nous laissent septiques quant aux fins et aux résultats sur le parc ancien. C’est un sujet où nous devons faire un effort de clarté.
Un autre titre traite des déplacements. Or, manifestement, la SNCF est dans les cordes, assommée par une dette de 50 milliards dont une partie est reconnue comme un dette d’État. La loi Macron officialise la compétition modale. Le lâchage de la région PACA pourrait être suivi par d’autres. Ségolène ROYAL prend le diésel comme bouc émissaire et l’auto électrique comme deux ex machina. Le recours systématique au libéralisme, à la compétition prive l’État de toute stratégie cohérente et affaiblit ses moyens d’intervention. Cette carence peut être étendue à l’aménagement du territoire. C’est manifeste sur des projets comme NDDL, EUROPACITY. L’État procède par coup comme sur PARIS – ROISSY, Seine Nord Europe. Tout ceci parce que la politique dominante s’inscrit sans réserve dans une globalisation économique assise sur le duo productivisme-consumérisme et la métropolisation. La notion de « Paris ville monde » est à décortiquer.
Le dernier titre relève du gaspillage et de l’économie circulaire. On pourrait en être satisfait. Mais la problématique est très centrée sur la notion de déchets et une approche comportementale. L’industrie n’est pas franchement abordée. Ségolène ROYAL veut fermer l’usine ALTEO de Gardanne alors qu’elle peut être un cas exemplaire d’économie circulaire. C’est ainsi que le MNLE aborde cette question : fin dès que possible de tout rejet dans la mer, réutilisation de l’eau, valorisation des argiles, relations de proximité, reprise des impacts anciens. L’arsenal réglementaire est très réduit.
La réflexion sur une approche territoriale d’une industrialisation basée sur les ressources renouvelables (énergie, agriculture, foresterie) est réduite à l’utilisation énergétique du bois dans des conditions parfois contestables (EON Gardanne par exemple). Les rares cas de chimie du végétal sont portés par des tenants de l’agriculture productiviste et souvent à partir de l’exploitation portuaire de marchés mondiaux dévastateurs comme celui de l’huile de palme. De manière générale (cas d’ALSTOM en particulier), l’Etat n’a guère de politique industrielle. Les 13 filières stratégiques lancées par MONTEBOURG en 2013 auront sans doute quelques retombées.
Mais on peut être dubitatif sur la validité de l’assise théorique d’une telle politique. On se trouve au cœur même du traité de Lisbonne qui tente de dépasser les difficultés économiques et sociales par un surcroît technologique.
On reste fondamentalement dans le productivisme. Son dépassement n’est pas seulement fondé sur une légitimité de l’utilité sociale de la production mais également la définition d’autres rapports avec le travail et la nature. Il ne s’agit pas seulement de mieux répartir les richesses mais de les créer autrement. Ce qui suppose une autre façon d’envisager la consommation et le partage. Problème très compliqué qui concerne également l’agriculture et dont la loi du 17 août ne dit rien. Or agriculture et industrie concourent à environ 50% des émissions hexagonales et plus si on prend en considération la consommation finale.
Un nécessaire changement de modèle
Ségolène ROYAL a façonné cette loi du 17 août à l’image du texte de la COP 21. C’est donc le corpus théorique qu’il faut redresser. Le capitalisme n’est pas soluble dans les énergies intermittentes. D’ailleurs, la publicité tente de faire de chaque Français un rentier en prêtant son toit pour une production électrique. Au nom du climat ! Les coopératives éoliennes échappent-elles à cette gangrène ? Elles en limitent le champ mais elles entrent complétement dans la marchandisation de l’électricité au nom de l’économie sociale et de la décentralisation des productions. L’approche territoriale évoquée plus haut ne peut donc pas se passer d’une réflexion sur les communs et le service public de l’électricité, son intégration dans une politique de l’énergie qui fait une place nouvelle au territoire et au droit. Compte tenu de la nature physique de l’électricité et de l’incapacité actuelle de son stockage massif, l’existence de réseaux nationaux connectés au niveau européen est indispensable.
Ce n’est pas parce que les textes issus des COP sont insuffisants qu’il ne faut pas saisir le temps des COP comme un moyen de faire pression. Faut-il pour autant continuer à donner au climat la place privilégiée qu’il occupe alors que manifestement la maîtrise du dérèglement climatique passe par un ensemble de solutions qui concernent l’organisation de la société et le
comportement de chacun? Mettre l’accent sur la sortie de l’âge des énergies fossiles carbonées peut permettre de réduire les émissions de GES à condition de prendre des mesures cohérentes. Il ne faut pas suivre l’exemple allemand où la production de près de 30% d’énergies intermittentes n’a pas permis de réduire les émissions liées à la production d’électricité et provoqué une chute massive du prix moyen européen, mettant en difficulté le système de production et sans que le consommateur puisse en avoir les retombées.
Tout en poussant à la prise de mesures curatives, il faut mettre en avant des mesures préventives qui agissent sur les causes et ne corrigent pas seulement les effets. Elles doivent comprendre une certaine radicalité tout en étant immédiatement applicables. C’est là la difficulté principale. Il faut donc voir les choses concrètement mais le pragmatisme ne doit pas être seul à la barre. Ce qui compte avant tout est la capacité des individus et de la société à acquérir des aptitudes opérationnelles pour agir, transformer et produire. Ceci peut s’appeler praxis démocratique.
Les champs à investir sont au nombre de quatre. Ce sont ceux d’ailleurs qui organisent les scénarios du GIEC : se loger, se déplacer, s’alimenter et s’équiper. L’urbanisme, les transports, l’agriculture et l’industrie sont donc les terrains sur lesquels doivent s’exercer d’autres manières d’agir. Il ne s’agit pas de rendre les marchés plus vertueux mais de mettre progressivement en œuvre des forces sur des stratégies différentes. Appelons cela des politiques durables. Elles doivent se traduire dans une praxis généralisable soutenue par des politiques publiques. Elles doivent prendre en compte les nouvelles donnes technologiques et leurs conséquences sur le travail en termes quantitatifs et qualitatifs. Le rapport de l’homme à la nature est structurant et doit commencer par la reconnaissance de limites dans les ressources, des effets de l’extractivisme
(extraction minière qui bénéficie surtout aux pays riches).
L’égalité d’accès aux ressources et aux biens est fondamentale. Le partage est donc une règle. La coopération internationale et la culture de paix sont indissociables du tout. Le texte de notre AG de 2014 est toujours valable. C’est autour de ces réflexions et propositions que le MNLE, réseau Homme&Nature, se reconstruit ces dernières années, sans prétention aucune mais avec l’ambition de participer à l’émergence d’autres possibles.
Faire vivre le réseau
Nous sommes organisés en réseau. Le niveau national a sans doute le rôle spécifique de faire circuler l’information et les retours d’expériences. La revue est jusqu’à présent le moyen principal. Un appel a été lancé dans le cadre de la préparation de ce congrès pour qu’on puisse définir les moyens qui permettraient aux comités de développer leurs activités. La séance de demain y consacrera du temps. Nous allons passer un peu de temps sur le site internet. L’ambition est qu’il soit un moyen partagé par l’ensemble du réseau. Ce qui signifie notamment que chaque nœud du réseau puisse contribuer à sa vie, à sa mise à jour. Le webmestre accompagne, conseille.Le bureau national veille à une bonne circulation de l’information et la tenue de rubriques nécessaires pour éclairer et alimenter le débat.
Nous sommes présents sur les 4 axes du quotidien énoncés plus haut, de manière insuffisante sur l’habitat par manque de forces militantes. Pour les transports nous sommes actifs en Loire Atlantique, dans la Somme, en PACA et en Ile de France. Sur l’agriculture, outre une réflexion de bon niveau encore mise à niveau à la dernière université, le projet du Rhône est porteur d’avenir. Sur l’industrie nous développons des actions à Gardanne. Il y a des possibilités dans les Cévennes. Nous sommes toujours présents sur l’Étang-de-Berre. D’autres pistes sont tracées. Nos comités comme nos adhérents isolés peuvent prendre le flambeau. Comment ? C’est une des dimensions de l’appel lancé pour et par ce congrès.
Quelques mots de fin. Nous sommes toujours debout et prêts à passer le relais à une nouvelle génération. Notre positionnement n’est pas toujours facile à comprendre parce qu’il refuse le tout ou rien , l’opposition binaire tout en développant des approches systémiques, graduelles et non exemptes de radicalité. Il y a encore énormément à faire, en particulier dans les propositions de politiques publiques durables qui, répétons le, n’ont de sens que si elles s’appuient sur une praxis démocratique de terrain. Nous avons commencé à partir de NDDL. Nous cherchons à étendre le positionnement sur la globalisation et la métropolisation à partir d’EUROPACITY. Nous construisons une initiative pour pousser l’élaboration de textes réglementaires pour faire passer l’économie circulaire dans une réalité. Nous avons une ambition de faire vivre le comité scientifique. Et nous sommes attentifs à vos propositions.
François COSSERAT
Le 17 octobre 2016